Chaque année, à cette période, des millions d’éphémères jonchent les rues de Belleriver.
Au sein de cette atmosphère étrange, un cambrioleur tire malencontreusement sur un jeune garçon.
Tentant de fuir, il rencontre Franny Fox, une jeune fille solitaire qui, contre toute attente, décide de le cacher dans la grange de son père.
Un thriller fantastique palpitant
L’omniprésence de Jeff Lemire

Jeff Lemire est un auteur omniprésent sur la scène comics qu’elle soit mainstream ou indépendante.
L’auteur, à la bibliographie bien fournie, s’est fait une réputation solide et expérimentée lui permettant d’enchainer les collaborations notamment avec Andrea Sorrentino sur Le mythe de l’ossuaire.
Pourtant, c’est seul qu’il a débuté et malgré un dessin hésitant, l’auteur a persisté dans cette voie et continue encore à s’offrir ses meilleurs récits.
C’est une simple interprétation mais on peut imaginer qu’il compense les lacunes de son dessin par des histoires puissantes parfaitement mises en scène.
Et il faut l’avouer, les comics estampillés 100% Jeff Lemire sont très souvent de véritables pépites.
Si l’année dernière il nous avait régalés avec le mélancolique Labyrinthe inachevé, Jeff Lemire revient avec Les éphémères, un récit en deux parties qui a déjà eu le droit à une première version sur le site en ligne Substack.
Pour la version papier, Jeff Lemire reprend la structure de son projet mais y ajoute de nombreuses pages.
Il la publie, pour la première fois, d’abord en France avant qu’elle n’arrive dans les kiosques américains.
Un gros coup pour Futuropolis, recompensé de sa fidélité auprès d’un auteur majeur de la culture américaine.
Les multiples facettes des éphémères de Jeff Lemire

Les éphémères de Jeff Lemire a pour base un souvenir d’enfance.
Enfant, il se rappelle d’une vision quasi apocalyptique, celle d’une multitude d’insectes envahissant les rues de sa ville natale.
À l’instar du groupe d’amis qu’il met en scène au début de l’album, il se remémore le bruit des bestioles écrasées à chaque passage.
Ce « Crunch » résonne, tout du long du récit, comme un coup de semonce récurent, brutal et incontrôlable.
C’est de là que part le drame.
Un enfant au mauvais moment, au mauvais endroit et une balle perdue qui brise une cellule familiale.
Le fuyard, blessé et poursuivi par un essaim d’éphémères, est sauvé par la jeune Franny Fox.
Une jeune fille étrange et solitaire qui ne ressent aucune crainte vis à vis de cet homme.
Pourtant, elle connaît assez bien la violence.
Que ce soit à l’école ou dans sa propre maison, la jeune fille doit faire face à une brutalité quotidienne, tant physique que morale.
On imagine qu’elle cherche chez cet homme autant un confident qu’un protecteur.
À travers ce récit hybride, Jeff Lemire revient une nouvelle fois sur la thématique de la famille brisée.
La violence écrase la cellule familiale, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur.
Une façon habile de jouer avec la notion de danger.
C’est ainsi que le récit va prendre un nouvelle tournure, plus fantastique, sorte d’hommage à La mouche de Cronenberg avec une petite touche conte fantastique à la Tim Burton ou Del Toro.
Si la promesse est tenue, il est difficile à la fin de ce premier tome de voir où le récit va nous mener et c’est plutôt réjouissant.
Le style Jeff Lemire

Jeff Lemire n’est pas connu pour être le meilleur des dessinateurs.
Son trait, semi-réaliste, se caractérise par son minimalisme et une raideur brute de décoffrage symbole d’une maitrise plus instinctive que technique.
Si l’encrage se veut plus élaboré, apportant ce qu’il faut de volume à son trait, c’est surtout la couleur qui lie véritablement l’ensemble.
Ses lavis, pourtant d’une simplicité exemplaire, apportent toute l’atmosphère qui caractérise les oeuvres de Jeff Lemire.
Certaines tonalités donnent les informations nécessaires pour comprendre les unités de temps et de lieux.
De même, il démontre avec un simple manteau rouge, seule couleur vive du récit, que Franny est le personnage central du récit vers qui se tournent (ou vont se tourner) tous les regards.
De plus, l’auteur a une véritable expertise en art narratif.
S’il se montre brillant, c’est avant tout dans l’originalité de sa mise en page.
Véritable conteur, il sait que la forme narrative peut largement compenser son manque de technicité graphique.
Mieux ! Elle va même nous la faire oublier.
Et c’est d’ailleurs la grande réussite de cette première partie.
L’auteur enchaîne un nombre important de planches sans le moindre dialogue.
Le nombre de cases se veut restreint et les illustrations se focalisent avant tout sur le ressenti et l’ambiance étrange du récit.
Si certains lui reprocheront certaines longueurs, on ne peut pas nier que Jeff Lemire a un véritable don pour nous mettre à la place de ses personnages.
En résumé
S'il faudra attendre la conclusion de ce récit avant de pouvoir parler de coup de coeur, il est indéniable que Les éphémères est une nouvelle réussite à mettre au compteur de Jeff Lemire. Polar fantastique et sociétal, ce nouveau comics fait beaucoup avec, au final, très peu. Classique mais absolument passionnant, ce "conte" étonne par sa structure quasi muette, laissant toute la place à l'émotion et aux ressentis. Jeff Lemire en profite pour explorer une nouvelle fois la cellule familiale sous l'angle du drame et de la violence, tout en cherchant à nous questionner sur la responsabilité de certains actes. Une réussite à confirmer.
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